El Walid Mimun : biographie d’un écorché vif !

 

 

     
Excellente biographie inédite de El Walid Mimun, faite par VETTEN. Un grand merci à lui pour ce travail d'une très grande qualité...

Walid Mimun (El Walid Mimoun/Mimoun El Walid) est aujourd’hui considéré dans le Rif comme étant une figure de proue dans le milieu musical. Auteur-compositeur-interprète engagé, El Walid aborde dans ses œuvres des thématiques diverses : l’injustice, la misère, le mépris du Rif de la part du pouvoir central marocain, l’exil…
 
     
 
   
En 1959, la tribu de yat Sidel, derrière Azghenghane, tout près de Nador, voit naître Walid Mimun. De famille lambda, aucun villageois n’a soupçonné ce jeune « berger » qui courrait pieds nus qu’il allait non seulement devenir la plus grande star du Rif, mais aussi une référence pour nombre d’artistes à travers toute Tamazgha (l’Afrique du Nord).

Notre vedette rifaine est tombée dans la musique assez tôt. El Walid a commencé justement par imiter les bergers des collines des Yat Sidel, verdoyantes au printemps. Il jouait de la tamja, cette flûte traditionnelle (l’un des instruments de base dans la musique rifaine dont on retrouve les traces dans de vieux enregistrements de Mimunt n Selouan ou de Yamina lxemmari notamment) qu’utilisent les pastoureaux pour passer le temps et stimuler leur troupeau.

Quelques années plus tard, El Walid visite le riche patrimoine oral de la région. Il sera sa principale source d’inspiration avec un ton nouveau : celui d’une conscience politique. Ses études de philosophie et de sociologie lui ont permis d’écrire des textes sensés et réalistes. Des paroles dans lesquelles s’identifie la jeunesse rifaine en désespoir.

Walid Mimun a été l’un des premiers à mettre au goût du jour des chants folklorisés et de plus en plus délaissés au profit de la « world arabic » (raï, cherqi, xaliji…). Il a reçu un accueil particulièrement chaleureux du public juste au moment où la chanson rifaine allait s’effacer devant ces genres musicaux venus d’ailleurs aux moyens colossaux.
Grâce à son génie, il a redonné vitalité et force à l’image ternie de lalla buya avec des sonorités propres et particulièrement mélodieuses.

Lwalid était par ailleurs membre de cette mythique association nadorienne al intilaqa attaqafiya qui a lancé une élite de chanteurs talentueux tels que Allal, khalid Izri… Il y avait un rôle de référence. Il fut un exemple pour tous ces jeunes dont certains ont révolutionné la chanson rifaine par leurs styles de composition : des textes réfléchis et élaborés ayant un socle politique ; et des airs légers et faciles à retenir.

Notre chanteur vedette a inspiré, par la qualité de ses œuvres, quantité d’étoiles du Rif (de Nador et de Al Hoceima) mais aussi du Moyen Atlas, de la région du Souss, de Kabylie… Son aire d’influence est la plus étendue. Grâce à ce rayonnement, il a permis à la chanson rifaine d’exister au-delà des frontières du Rif. Ce qui lui a valu, outre une très grande popularité à travers Tamazgha d’être pris en épingle au début des années 80 par les autorités marocaines.

A ce même moment, Walid Mimun enregistre son 1er album sous le titre de ajjaj (tonnerre) qui sera interdit de diffusion. Ce qui n’a pas arrêté ses amis qui ont pris en main sa duplication avec des moyens de fortune et sa distribution clandestine. Cet album a rencontré un vif succès auprès de la jeunesse rifaine à la veille et durant les événements de 1984. La propagation de cet album et ces émeutes coïncidant, Lwalid devient malgré lui le porte parole des étudiants, des ouvriers, des paysans et des pêcheurs. Tout le nord-est du Maroc l’adule et l’adore.


Dans la chanson dunect a/dunecht a (en ce bas monde), issue de ce 1er album (ajjaj), Lwalid a accompli une prouesse d’ironie, clin d’oeil à l’hypocrisie dont a fait preuve le gouvernement marocain lors de la sortie de cet album. Il décrit un paradoxe qui aliène les classes moyennes au bénéfice des élites aristocratiques dirigeantes.
« En ce bas monde, dit-il, certains vont sur la Lune, et nous, on se shoote à l’ombre. Certains se baignent dans de l’or, tandis qu’on nous recouvre de béton. Quelques uns trempent dans l’instruction alors que nous, on évolue dans l’ignorance. Les élites organisent des méchouis, et nous, on se contente de tamarraqt. Si on dit la vérité, on passe pour des fous. Et quand ils mentent, ils passent pour des notables. Notre vie est devenue amère. Amère comme le laurier. Certains d’entre nous, ont été mis au trou, scellés, ils n’entendent plus, ils ne voient plus… ils sont condamnés à vie ! Notre soleil brillera. Le jour où ça arrivera, ça se verra. »

Dans la chanson ajjaj qui a inspiré le titre de son album, Walid Mimun s’adresse aux ‘‘gens qui ont un pouvoir sur nous’’. Sans les nommer directement, il s’agit visiblement d’une autorité qui a une forte influence sur ‘‘sa’’ vie et celle des siens. Il dit :

« Construisez vos palais sur notre dos, avec nos larmes et notre sueur. Creusez nos tombes et enterrez nous pour qu’on ne vous voit pas.
Moi, je n’existe pas. Je ne suis qu’une ombre, car j’ai des besoins que personne ne perçoit. On est comme cette fleur qu’on aurait cueillie trop tôt et qu’on aurait piétinée. Comme ce volatile qui n’a pas réussi à faire prendre son envol à sa couvée.
Quoi qu’il en soit, il faut qu’ils sachent qu’on est dans ces falaises, dans ces champs cultivés. On est nombreux. Ils auront beau tenter de nous déraciner. Un jour ou l’autre, la dalle qui nous retient enfermés comme des bêtes dans une grotte sera pulvérisée. Le brouillard va se dissiper et les étoiles vont briller. On pourra quitter cette assignation à résidence et regagner notre liberté. »


Dans ce 1er album, Walid Mimun « l’écorché vif » semble avoir donné le meilleur de lui : chaque morceau paraît narrer une partie de la vie de chacun d’entre nous ou tout au moins la vie dans laquelle on se projette en tant que rifain. Il s’est montré émouvant, sincère, talentueux et créatif.

Après ses déboires avec l’administration marocaine, El Walid se replie sur lui quelques années. Il refait surface en 1986 avec l’enregistrement d’un second album : amtlu3 (le vagabond). Toujours fidèle à l’état d’esprit du départ, il parvient néanmoins à combiner ce qui relève de la revendication politique intrinsèque comme dans neccin s a (on est d’ici), usind (ils sont venus), min ne3na neccine ? (qui sommes nous ?)… avec une description narrative de la vie villageoise plus gaie et plus légère comme dans aqbuc (la jarre).
Dans cette chanson, il parle d’une femme rifaine traditionnelle. Il décrit sa démarche, sa tenue vestimentaire, ses bijoux... Il dit, «Parée de son lizar blanc, avec une jarre sur le dos, elle va puiser cette eau de source glacée qui coule le long du fleuve en temps de canicule. De pas en pas, on entend le bruit de ses chevillières, on distingue sa longue chevelure recouverte d’un foulard fin, on perçoit ses bracelets et ses parures au loin… ».
Walid Mimun nous offre un voyage dans un tourbillon de couleurs digne du mythe de la rifaine.

Outre cette description sympathique et en somme toute banale, il y a une double lecture à avoir pour comprendre le probable message crypté de notre vedette. Il faudrait sans doute s’attarder sur des symbole tels que A3rur (dos, auquel il fait souvent référence dans ses œuvres), aqbuc (jarre, synonyme de la chance et de la richesse), aman(eau), lizar (habit traditionnel, symbole de la féminité et de l’authenticité), lmehDur(longue chevelure), acemlal(blanc), axelxal (bijou)…

Après ces deux créations majeures, Walid Mimun réalise ce qu’il a souvent crié dans sa besogne. Il fuit vers les Pays-Bas comme c’était et c’est encore le cas de plusieurs stars rifaines. Comme si l’exil était exutoire. Comme si le Rif ne l’entendait pas et, à défaut de changement, il fallait s’expatrier pour vivre cette mutation ailleurs.
Sa chanson, a dwerd a mmi inu (reviens mon fils), issue de cet album artisanal interdit de commercialisation dans les années 80, illustre parfaitement sa nouvelle vie. Comme s’il l’avait prédit. Et chacun pourrait s’y reconnaître à des degrés différents.

C’est l’histoire d’une mère restée dans le Rif qui appelle son fils ayant choisi la voie de l’exil. Elle ne l’a pas revu depuis plusieurs années et a le cœur brisé. Elle lui demande de revenir car il y possède des « droits ». « Il » lui répond : « je suis là parmi irumiyen (les chrétiens, les européens…) car je n’ai vécu que misère et malheurs di tmurt inu (dans mon pays natal). Je ne peux pas revenir Ô mère à ce cimetière. Je préfère rester là à noyer ma mélancolie. Tu peux Ô mère me compter parmi les errants et les désoeuvrés.»

Sans doute que sa maman a été entendue et notre Walid dédaigne enfin de regagner le Rif en 1994 juste au moment où le roi du Maroc prononce son discours sur « l’utilté d’enseigner tmazight au même titre que les autres langues nationales ». Il ne faut voir là probablement qu’une simple coïncidence.

En 1995/96, El Walid revient avec un 3eme album intitulé tayyut (brume) où on retrouve des créations et quelques reprises de son 1er album. Dans l’ensemble, c’est une œuvre douce et agréable mais on l’attendait plus incisive. Les reprises ont en effet perdu de leur ferveur bien que les nouveaux morceaux soient d’une beauté sans équivoque. Référence faite au titre emblématique, tayyut :

« Mon cœur fait des vagues telle une mer agitée. Il éclate comme cette foudre qui s’abat sur mes frères en bord des routes se nourrissant d’herbe.
Cette brume et ce nuage de poussière se déplacent et se posent sur ces villages dans la grisaille au fin fond des tribus.
Trime ô saisonnier, ton bien te sera confisqué.
C’est de lumière dont on a besoin pour sortir de cette obscurité. Il faudrait trouver la bonne mèche pour nous éclairer. » ;


ou à celui de tadbirt (colombe), chant à l’amour :

Ô colombe, si tu parvenais à t’envoler
Je te confie cette missive à l’intention de ma bien-aimée
Dis lui que mon Amour pour elle
Est dans mon cœur un délice

Lis la aux monts et océans que tu franchiras
Lis la aux fleuves et à leurs sources si tu bois
Lis la à ma bien-aimée et demande lui « comment vas-tu ? »
Dis lui que mon Amour pour elle est dans mon cœur un délice
Tels les pétales de coquelicots
Nourries par la rosée du matin

Tu t’es envolée tel un papillon
Sur mon cœur tu t’es posée
Tu étais mon claire de lune
Qui illuminait mes nuits
Tu étais mon soleil
Qui éclairait mes jours



Après ces belles paroles, Walid Mimun reprend le chemin de l’exil et s’installe en Belgique où il vit actuellement. Il s’y produit occasionnellement dans le cadre de festivals et autres manifestations d’envergure. Il a lancé un dernier album qui comporte de nombreuses nouveautés : atarres (la personne au sens masculin), lqarn 15 (le XVe siècle)… Où l’on a la sensation que les choses demeurent immuables.

Prochainement, Walid Mimun a rendez-vous pour un duo avec H’mmu Kemmus (comme celui qu’il avait réalisé avec Ammuri M’Barek quelques années auparavant) pour son album qui sera commercialisé au printemps 2005. Ce chanteur, originaire de « Tamazgha Occidentale » (sud-ouest du Maroc) comme il aime à le dire, est l’un de ces mordus de notre Walid. Espérons que les œuvres de l’un comme de l’autre, ensemble ou séparément, s’imposent dans la diaspora rifaine et amazighe par extension.

A "Tin Beccart (Timbechat)"...
 

 

 

rajouté le 20 January 2005

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